Lexique – Initiation à l’investigation empirique

Quelques définitions proposées dans le cadre du module d’initiation à l’investigation empirique (TD) assuré en 2008 à l’université Paris Nord Villetaneuse, Licence 1 Sociologie et science politique.

NB : ces définitions ne sont pas exhaustives, mais visent simplement un décodage rapide du jargon méthodologique pour les non « initiés »

 

Accessibilité du terrain : l’accessibilité du terrain désigne les conditions sous lesquelles le sociologue peut y entrer pour mener son enquête. Elle peut être caractérisée en termes formels (le lieu est public, privé, ou semi-public, c’est-à-dire accessible sous certaines conditions formelles (entrée payante)). Mais l’accessibilité a aussi une dimension plus informelle : la présence du sociologue peut être contestée par les acteurs en présence, même dans un lieu public. De ce point de vue, l’accessibilité pourra varier en fonction de caractéristiques objectives de l’enquêteur, mais aussi en fonction de son statut d’observateur (cf « statut de l’observateur »).

Acteurs : les gens. La désignation sociologique « acteur » vise à mettre l’accent sur la capacité d’action et la marge de liberté des personnes par rapport aux contraintes sociales (contrairement à la désignation « agent », qui suppose plutôt des acteurs déterminés par ces contraintes).

Analyse méthodologique : démarche par laquelle le sociologue évalue sa propre pratique d’enquête, en observation ou en entretien. Par exemple, pour faire une analyse méthodologique d’un entretien, l’enquêteur prendra des notes, à partir de l’enregistrement et de la transcription de l’entretien, sur la qualité de ses relances, la manière dont il a formulé ses questions, ses tics de langage éventuels, etc. L’analyse méthodologique a une double utilité : elle permet au sociologue d’améliorer sa pratique d’enquête, et elle est utile pour l’analyse sociologique.

Analyse sociologique : démarche par laquelle le sociologue met en perspective, d’un point de vue sociologique, les données empiriques dont il dispose (ici, entretien ou observation). Ces données sont envisagées indissociablement des conditions particulières de leur « collecte » par le chercheur : c’est pourquoi l’analyse méthodologique est utile à l’analyse sociologique.

Anonymat : c’est un principe essentiel de l’enquête sociologique : la protection des personnes « enquêtées », par observation comme par entretien, passe par une exploitation sous forme anonyme des données les concernant, c’est-à-dire que les noms de personnes et de lieux doivent être changés ou occultés.

Auto-analyse : mise en perspective, par le chercheur, de son rapport au terrain. La démarche d’auto-analyse consiste à expliciter (par écrit, dans le journal de terrain) ses sentiments subjectifs par rapport au terrain étudié : admiration, répulsion, gêne, convictions particulières, etc. L’explicitation permet de mieux contrôler l’effet que ces sentiments et opinions peuvent avoir sur la collecte des données et l’analyse. De plus, en cherchant à expliquer ce qu’il ressent, le chercheur peut trouver des clés importantes de compréhension de son terrain.

Carte de déambulation : une carte de déambulation consiste à dessiner, sur un plan des lieux observés, les trajectoires d’un ou de plusieurs personnes dans l’espace.

Coq-à-l’âne : dans un entretien, le coq-à-l’âne consiste, pour le sociologue, à poser une question qui n’a rien à voir avec le propos que son interviewé est en train de développer. Dans le cadre d’un entretien non directif ou semi-directif, c’est une maladresse méthodologique (cf « directivité »).

Description et analyse : la distinction entre la description (le compte-rendu objectif de ce qu’on observe) et l’analyse (l’analyse qu’on en propose dans une perspective sociologique) est un principe essentiel de la recherche. Dans l’observation, il s’agit de distinguer les données issues du terrain, le « matériau », des analyses qu’on développe autour. De façon similaire, en entretien, on aura d’un côté la transcription littérale de l’entretien, de l’autre l’analyse qu’on développe à partir de celle-ci.

Directivité d’un entretien : La directivité renvoie au degré auquel le sociologue impose son rythme à l’entretien. On distingue généralement trois niveaux de directivité : l’entretien directif, l’entretien non directif, et l’entretien semi-directif :

  • Dans un entretien directif, l’enquêteur conduit l’entretien à partir d’une grille standardisée (identique pour toutes les personnes interviewées, et avec un ordre des questions à respecter). La différence avec le questionnaire utilisé dans une enquête quantitative est que les questions sont ouvertes, cependant les réponses attendues sont courtes.
  • Dans un entretien non directif, l’enquêteur intervient très peu. Il indique un thème général, que l’enquêté choisit d’explorer à sa guise.
  • Dans un entretien semi-directif, l’enquêteur prépare une grille d’entretien adaptée à son interviewé, mais ne suit pas nécessairement, dans l’entretien, l’ordre prévu de ses questions. En effet, ses questions doivent s’inscrire dans le fil discursif de l’interviewé, qui est laissé libre de structurer lui-même sa pensée. L’enquêteur pourra être amené à poser, en fonction du discours de l’enquêté, des questions non prévues initialement, et/ou à ne pas poser certaines questions initialement envisagées. L’entretien reste toutefois subordonné à l’objectif de recherche de l’enquêteur, qui pourra intervenir pour ramener l’enquêté sur le sujet en cas de digression trop longue et/ou trop éloigné du thème qui intéresse le chercheur.

 

Entrée sur le terrain : on désigne par là la première fois qu’un chercheur va sur le lieu d’enquête. Ce moment est déterminant à la fois du point de vue de l’émergence d’un questionnement sociologique (à partir des premiers étonnements) et du point de vue de l’interaction enquêteur-enquêtés (l’entrée sur le terrain implique en effet le choix d’un statut d’observateur, et constitue un premier « test » de la réaction des enquêtés).

Entretien (sociologique) : un entretien sociologique est une interaction verbale entre le chercheur et une personne sollicitée par lui, dans l’objectif explicite d’une étude sociologique, sur un thème précis en relation avec cette étude. A la différence du questionnaire, les questions posées par le chercheur sont des questions ouvertes, qui attendent des réponses libres et assez développées de la part de la personne interviewée. Le degré de directivité du chercheur dans la conduite de l’entretien est variable (cf « directivité »).

Fiche biographique/fiche acteur : fiche (ou fichier informatique) sur laquelle on note au fur et à mesure des séances d’observations toutes les informations qu’on recueille sur un acteur donné (typiquement, qui a une importance particulière sur le terrain) : éléments biographiques, perception par les autres acteurs (ex. un commentaire émis sur cette personne, entendu sur le terrain, qu’on transcrira littéralement), actions de cet acteur, etc. Les fiches ainsi réalisées sur différents acteurs du terrain constituent un support utile pour l’analyse, et à terme, pour la restitution des données.

Grille (ou guide) d’entretien : La grille d’entretien est la liste des questions que le chercheur souhaite poser en entretien, ordonnées autour de quelques grands thèmes (entre 3 et 5 en général pour un entretien semi-directif). Cf fiche technique n°5.

Grille (ou guide) d’observation : la grille d’observation est constituée d’une liste d’items que le sociologue se fixe d’observer de façon systématique sur son terrain. Il se donnera en général une première grille très large, qui l’aidera à être attentif à tous les aspects de son terrain, avant de recentrer ses observations sur un aspect particulier, en lien avec une question sociologique particulière. En résultera une nouvelle grille d’observation plus restreinte, mais permettant des observations plus systématiques. Outre son articulation avec un questionnement sociologique théorique, la définition de la grille d’observation est étroitement liée à d’autres choix méthodologiques : statut de l’observateur et point de vue d’observation. Elle est susceptible de redéfinitions au fur et à mesure de l’avancement du travail de terrain. Cf fiche technique n°4.

Illusion biographique : Fait de relire l’expérience passée à la lumière de ce qu’on est devenu aujourd’hui, ce qui donne au récit et à la représentation qu’on donne de soi une cohérence en décalage avec la réalité des hésitations et des tensions inhérentes à tout parcours individuel.

Imposition de problématique : dans un entretien, l’imposition de problématique consiste à poser à son interlocuteur des questions qu’il ne se pose pas, ou dans des termes qui ne correspondent pas aux siens. Comme toute maladresse méthodologique, elle peut être une source de connaissance sociologique, si on cherche à expliquer sociologiquement le décalage perçu entre la formulation de la question et la manière de penser de l’interviewé.

Informateur : dans une enquête par observation, le chercheur pourra avoir recours à des informateurs, qui sont des personnes bien intégrées dans le milieu étudié, et qui vont lui donner des informations complémentaires, auxquelles il n’aurait pas nécessairement pu avoir accès par la seule observation directe. L’informateur n’est pas choisi par le sociologue, c’est le plus souvent une personne qui vient spontanément lui parler.

Interaction enquêteur/enquêté : dans une enquête par observation et a fortiori, dans un entretien, les comportement de l’enquêteur et des enquêtés s’influencent mutuellement : la présence de l’observateur, quel que soit son statut, modifie le cours « naturel » des activités sur un terrain particulier, et inversement, le comportement de l’enquêteur (et notamment ses choix méthodologiques) dépendra en grande partie des réactions des enquêtés à sa présence. L’interaction entre enquêteur et enquêté est encore plus forte en entretien, du fait de la situation de face à face.

Journal de terrain : issu de la tradition anthropologique, le journal de terrain est un support essentiel de la collecte des données et de la réflexion du chercheur. Ce journal constitue la trace principale du travail d’enquête. C’est là que le chercheur consigne les données collectées à l’issue de chaque séance d’observation. Aux données s’ajoutent des réflexions méthodologiques, des pistes d’analyse sociologique, et des réflexions plus subjectives du chercheur sur son rapport au terrain (auto-analyse).

Lexique indigène : au fur et à mesure des séances d’observation, le sociologue peut consigner sur une fiche les expressions typiques du milieu sur lequel il enquête, en indiquant leur signification. Outre son utilité pratique immédiate pour le chercheur, ce « lexique indigène » constitue, à terme, un support utile de restitution, et un ressort intéressant d’analyse sociologique (par exemple, analyse d’une identité professionnelle à partir de l’étude des éléments langagiers spécifiques d’un métier).

Montre (ou tout autre dispositif permettant de lire l’heure – voire, mieux, de chronométrer) : accessoire indispensable de l’enquêteur, tant pour l’observation (permet notamment le chronométrage de séquences d’activité) que pour l’entretien (permet de ne pas être « pris par le temps » si l’interviewé ne dispose que d’un temps limité).

Observation à découvert/Observation incognito (ou masquée) : Dans une observation à découvert, l’enquêteur informe ses enquêtés du fait qu’il est en train de faire une étude sociologique. S’il choisit de cacher cet objectif scientifique de sa présence sur le terrain, il est dans une situation d’observation incognito. Le choix d’une observation à découvert ou incognito est un des deux éléments essentiels qui caractérisent le statut de l’observateur, conjointement avec le degré et les modalités de sa participation (cf « observation participante » et « statut de l’observateur »).

Observation participante : l’observation participante suppose que le sociologue ne se contente pas d’observer son terrain en restant à l’écart, dans une posture d’extériorité, mais qu’il participe aux activités en cours sur son terrain en adoptant un rôle déjà existant dans la situation étudiée (ex. : j’observe une activité sportive en club, je choisis de suivre moi-même des cours : j’adopte le rôle d’élève).

Observation : méthode d’enquête par laquelle le chercheur observe directement, par sa présence sur le « terrain », les phénomènes sociaux qu’il cherche à étudier. Dans une enquête par observation, le chercheur alterne des « séances d’observation » (moments où il est effectivement sur le « terrain ») et des moments de réflexion et d’écriture sur ce qu’il a observé.

Plan des lieux : Dès ses premières séances d’observation, l’enquêteur dessine sur son journal de terrain un plan des lieux. Cette démarche est utile car elle contraint à saisir le terrain dans toutes ses ramifications, pour ensuite, éventuellement, mener une étude plus ciblée sur un aspect du terrain. Le plan des lieux sert également à situer les personnes et les objets dans l’espace ; c’est un support indispensable de restitution des observations.

Point de vue de l’observateur : manière dont l’observateur va se situer, dans l’espace, pour collecter les données correspondant à sa grille d’observation.

Prise de note : pour consigner ce qu’il observe, le chercheur pourra, si le terrain et si son statut d’observateur le lui permettent, prendre des notes pendant la séance d’observation (cf encadré de la fiche technique n°4).

Restitution : La phase de restitution correspond à la phase de l’enquête dans laquelle le chercheur va proposer une synthèse de ses données et de ses analyses, sous forme de compte-rendu (travail universitaire, article, rapport, ouvrage), pour diffusion à la communauté scientifique et/ou aux acteurs de son terrain (dans ce cas, les modalités de restitutions pourront être adaptées, notamment afin de veiller à ne pas nuire ou blesser les personnes concernées).

Séance d’observation : moment pendant lequel le chercheur va sur son terrain. Une enquête par observation est composée de plusieurs séances d’observation, dont la temporalité est organisée en fonction de la grille d’observation (après quelques séances qui peuvent être qualifiées de séances « exploratoires », où l’enquêteur observe « tous azimuts »). Une séance d’observation est toujours suivie d’un travail d’écriture sur le journal de terrain : consignation des données collectées, analyse méthodologique, pistes d’analyse sociologique.

Statut de l’observateur : on désigne par statut de l’observateur la manière dont l’enquêteur se présente et se comporte sur le terrain, et/ou la manière dont il est perçu par les enquêtés (les deux ne coïncidant pas nécessairement). Deux éléments essentiels permettent de caractériser le statut d’un observateur sur un terrain particulier (cf fiche technique n°1):

  • Le choix d’une observation à découvert (on se présente en tant que sociologue faisant une étude sociologique) ou incognito (on ne révèle pas aux enquêtés le fait qu’on est en train de faire une étude sociologique sur ce terrain).
  • Le degré et les modalités de participation

 

Supports de restitution : on désigne par « supports de restitution » les différents dispositifs auxquels le chercheur peut avoir recours pour restituer les données issues du terrain. Les supports de restitution n’ont vocation à contenir que des données issues du terrain, et non des analyses du chercheur. Il est utile de concevoir les moyens de collecte des données en fonction de ces différents supports, afin de pouvoir les mobiliser efficacement à l’étape de restitution de la recherche. Exemples de supports de restitution : plan des lieux, cartes de déambulation, extraits de conversation entendues, description d’une interaction, photographies, fiches biographiques, lexique indigène, reproduction de documents issus du terrain (ex. le règlement intérieur d’une institution, les statuts d’une association, des coupures de presse…).

Terrain : « Mon terrain, c’est… » : Le terrain correspond alors à l’objet d’étude que se donne le chercheur, envisagé dans sa dimension strictement empirique (non problématisé).  « Faire du terrain », « être sur le terrain » : désigne les moments où le chercheur est en contact direct avec son objet d’étude (il est en train de faire une séance d’observation ou un entretien).

Transcription (ou retranscription) (d’un entretien) : traduction la plus fidèle et la plus détaillée possible, sous forme d’un document dactylographié, de la situation d’entretien. La transcription se fait à partir de l’enregistrement de l’entretien, des notes et des souvenir du sociologue. Cf fiche technique n°8.